Le cinéma intérieurNeurones miroir et autres considérations

L’empire des sens

L’emprunt, pour le titre de cette page de celui du film de Nagisa Ōshima, est un simple clin d’œil. Même si le premier sens dont il sera question ici sera la vision. Clin d’œil j’ai dit ?

Nos sens sont le chemin qui mène au monde. Ils sont, au moins, le début du chemin, de la voie (道). Nous “connaissons” le monde d’abord par nos sens. Ils sont notre premier lien avec lui et nous le montrent. Il faut parler ici de sens au sens large. A la vue, à l’ouïe, au gout, à l’odorat et au toucher, il convient d’ajouter le sens de l’équilibre, la proprioception.

Notre corps est équipé de capteurs en tous genres, parfois performants, parfois défaillants mais toujours étonnants de subtilité et d’efficacité. Ces capteurs innombrables sont accompagnés de circuits d’analyse et de contrôle tout aussi fantastiques capables de nous autoriser des prouesses qui finissent par nous paraitre banales tellement elles sont quotidiennes. Notre système nerveux est ainsi capable de nous donner à voir ce qui nous entoure, à entendre les dérangements de notre environnement, à humer les émanations au milieu desquelles nous nous trouvons et à se tenir là, debout pour contempler tout cela comme un tout, inconscients de la performance qui consiste à rassembler ces signaux dans une unité cohérente.

Mais nos sens, tous performants qu’ils soient, restent limités. Nous ne voyons pas les infrarouges pas plus que les ultraviolets. Nous ne sentons pas certaines substances. Nous n’entendons pas les infra ou les ultrasons. Infra et ultra disant justement ce qui est au-delà du domaine de notre perception.

Certains insectes, par exemple, voient dans l’infrarouge. Ce qui leur permet de voir le monde d’une façon qui nous est inaccessible. En tout cas sans appareillage technique.

Nos sens sont limités et nous trompent aussi. Car l’information fournie par les capteurs (l’œil, l’oreille, la peau…) est traitée, interprétée, corrigée, filtrée par nos circuits neuronaux. Une partie de la perception consiste à comparer la situation perçue à d’autres situations passées. Cette comparaison a, entre autres objectifs, de simplifier l’interprétation des signaux en procurant une réponse possible parmi celles déjà adoptées dans le passé. Et, de proche en proche, à renforcer, privilégier les réponses les plus pertinentes, les plus performantes et à délaisser voire éliminer les autres. La perception du monde devient alors une confrontation entre des signaux immédiats et des souvenirs dans un jeu de sélection et de renforcement qui mène si ce n’est à la cohérence, au moins à la sensation et, peut-être, à l’illusion de la cohérence du monde.

S’ils nous permettent nos premiers pas dans le monde, il convient donc d’accorder une confiance relative à nos sens. En connaître les travers, les défauts, les limites et savoir remettre en question ce qu’ils nous montrent, c’est à dire, engranger d’autres expériences, d’autres souvenirs comme référentiel, comme grille de lecture fait partie du chemin qui mènent à la connaissance que nous avons ou pouvons avoir du monde qui nous entoure.

Je crois ce que je vois. La question de la “réalité” qui se cache derrière cette maxime mobilise la pensée philosophique depuis la nuit des temps. La science récente nous montre que le contact avec la vérité défie nos sens, limités qu’ils sont à percevoir la surface des choses. Pour autant, dans notre expérience quotidienne, ils s’avèrent suffisamment fiables et performants. Il existe pourtant des situations où ils nous trompent, constituant sinon un danger au moins une gène et méritant qu’on s’en préoccupe quand on se met dans des situations exigeantes comme celles qu’on rencontre dans notre discipline.

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